POESIES

Poèsies sur la danse.

Parce que les poètes font aussi danser leur plume sur une scène de papier…

 

Les yeux d’Elsa

 

Quelle valse inconnue entraînante et magique
M’emporte malgré moi comme une folle idée
Je sens fuir sous mes pieds cette époque tragique
Elsa quelle est cette musique
Ce n’est plus moi qui parle et mes pas sont guidés

Cette valse est un vin qui ressemble au Saumur
Cette valse est le vin que j’ai bu dans tes bras
Tes cheveux en sont l’or est mes vers s’en émurent
Valsons-la comme on saute un mur
Ton nom s’y murmure Elsa valse et valsera.

Aragon, Les yeux d’Elsa

 

 

Initium

 

Les violons mêlaient leur rire au chant des flûtes
Et le bal tournoyait quand je la vis passer
Avec ses cheveux blonds jouant sur les volutes
De son oreille où mon Désir comme un baiser
S’élançait et voulait lui parler, sans oser.

Cependant elle allait, et la mazurque lente
La portait dans son rythme indolent comme un vers,
– Rime mélodieuse, image étincelante, –
Et son âme d’enfant rayonnait à travers
La sensuelle ampleur de ses yeux gris et verts.

Et depuis, ma Pensée – immobile – contemple
Sa Splendeur évoquée, en adoration,
Et dans son Souvenir, ainsi que dans un temple,
Mon Amour entre, plein de superstition.

Et je crois que voici venir la Passion.

Verlaine, Poèmes saturniens

 

 

Chanson de grand-père

Dansez, les petites filles,
Toutes en rond.
En vous voyant si gentilles,
Les bois riront.

Dansez, les petites reines,
Toutes en rond.
Les amoureux sous les frênes
S’embrasseront.

Dansez, les petites folles,
Toutes en rond.
Les bouquins dans les écoles
Bougonneront.

Dansez, les petites belles,
Toutes en rond.
Les oiseaux avec leurs ailes
Applaudiront.

Dansez, les petites fées,
Toutes en rond.
Dansez, de bleuets coiffées,
L’aurore au front.

Dansez, les petites femmes,
Toutes en rond.
Les messieurs diront aux dames
Ce qu’ils voudront.

Victor Hugo, De l’art d’être grand-père

 

Danse Macabre

 

Fière, autant qu’un vivant, de sa noble stature,
Avec son gros bouquet, son mouchoir et ses gants,
Elle a la nonchalance et la désinvolture
D’une coquette maigre aux airs extravagants.

Vit-on jamais au bal une taille plus mince ?
Sa robe exagérée, en sa royale ampleur,
S’écroule abondamment sur un pied sec que pince
Un soulier pomponné, joli comme une fleur.

La ruche qui se joue au bord des clavicules,
Comme un ruisseau lascif qui se frotte au rocher,
Défend pudiquement des lazzi ridicules
Les funèbres appas qu’elle tient à cacher.

Ses yeux profonds sont faits de vide et de ténèbres,
Et son crâne, de fleurs artistement coiffé,
Oscille mollement sur ses frêles vertèbres.
Ô charme d’un néant follement attifé.

Aucuns t’appelleront une caricature,
Qui ne comprennent pas, amants ivres de chair,
L’élégance sans nom de l’humaine armature.
Tu réponds, grand squelette, à mon goût le plus cher !

Viens-tu troubler, avec ta puissante grimace,
La fête de la Vie ? ou quelque vieux désir,
Éperonnant encor ta vivante carcasse,
Te pousse-t-il, crédule, au sabbat du Plaisir ?

Au chant des violons, aux flammes des bougies,
Espères-tu chasser ton cauchemar moqueur,
Et viens-tu demander au torrent des orgies
De rafraîchir l’enfer allumé dans ton coeur ?

Inépuisable puits de sottise et de fautes !
De l’antique douleur éternel alambic !
A travers le treillis recourbé de tes côtes
Je vois, errant encor, l’insatiable aspic.

Pour dire vrai, je crains que ta coquetterie
Ne trouve pas un prix digne de ses efforts ;
Qui, de ces coeurs mortels, entend la raillerie ?
Les charmes de l’horreur n’enivrent que les forts !

Le gouffre de tes yeux, plein d’horribles pensées,
Exhale le vertige, et les danseurs prudents
Ne contempleront pas sans d’amères nausées
Le sourire éternel de tes trente-deux dents.

Pourtant, qui n’a serré dans ses bras un squelette,
Et qui ne s’est nourri des choses du tombeau ?
Qu’importe le parfum, l’habit ou la toilette ?
Qui fait le dégoûté montre qu’il se croit beau.

Bayadère sans nez, irrésistible gouge,
Dis donc à ces danseurs qui font les offusqués :
 » Fiers mignons, malgré l’art des poudres et du rouge,
Vous sentez tous la mort ! Ô squelettes musqués,

Antinoüs flétris, dandys, à face glabre,
Cadavres vernissés, lovelaces chenus,
Le branle universel de la danse macabre
Vous entraîne en des lieux qui ne sont pas connus !

Des quais froids de la Seine aux bords brûlants du Gange,
Le troupeau mortel saute et se pâme, sans voir
Dans un trou du plafond la trompette de l’Ange
Sinistrement béante ainsi qu’un tromblon noir.

En tout climat, sous tout soleil, la Mort t’admire
En tes contorsions, risible Humanité,
Et souvent, comme toi, se parfumant de myrrhe,
Mêle son ironie à ton insanité !  »

Baudelaire, Les Fleurs du mal

 

Adieu aux Dames de la Cour

 

Adieu la cour, adieu les dames,
Adieu les filles et les femmes,
Adieu vous dis pour quelques temps,
Adieu vos plaisants passetemps ;
Adieu le bal, adieu la danse,
Adieu mesure, adieu cadence,
Tambourin, haubois et violons,
Puisqu’à la guerre nous allons.
Adieu les regards gracieux,
Messagers des coeurs soucieux ;
Adieu les profondes pensées,
Satisfaites ou offensées ;
Adieu les harmonieux sons
De rondeaux, dizains et chansons ;
Adieu piteux département,
Adieu regrets, adieu tourment,
Adieu la lettre, adieu le page,
Adieu la cour et l’équipage,
Adieu l’amitié si loyale,
Qu’on la pourrait dire royale,
Etant gardée en ferme foi
Par ferme coeur digne de roi.
Adieu ma mie la dernière,
En vertus et beauté première ;
Je vous prie me rendre à présent
Le coeur dont je vous fis présent,
Pour, en la guerre où il faut être,
En faire service à mon maître.
Or quand de vous se souviendra,
L’aiguillon d’honneur l’époindra
Aux armes et vertueux faits :
Et s’il en sortait quelque effet
Digne d’une louange entière,
Vous en seriez seule héritière.
De votre coeur donc se souvienne,
Car si dieu veut que je revienne,
Je le rendrai en ce beau lieu.

Or je fais fin à mon adieu.

Clément Marot

Dans la danse

 

Petite table enfantine,
il y a des femmes dont les yeux sont comme des morceaux de sucre,
il y a des femmes graves comme les mouvements de l’amour qu’on ne surprend pas,
il y a des femmes au visage pâle
d’autres comme le ciel à la veille du vent.
Petite table dorée des jours de fête,
il y a des femmes de bois vert et sombre :
celles qui pleurent,
de bois sombre et vert :
celles qui rient.

Petite table trop basse ou trop haute,
il y a des femmes grasses
avec des ombres légères,
il y a des robes creuses,
des robes sèches,
des robes que l’on porte chez soi et que l’amour ne fait jamais sortir.
Petite table,
je n’aime pas les tables sur lesquelles je danse,
je ne m’en doutais pas.

Eluard, Mourir ou ne pas mourir.

 

Le Bal

 

La harpe tremble encore et la flûte soupire,
Car la Walse bondit dans son sphérique empire ;
Des couples passagers éblouissent les yeux,
Volent entrelacés en cercle gracieux,
Suspendent des repos balancés en mesure,
Aux reflets d’une glace admirent leur parure,
Repartent ; puis, troublés par leur groupe riant,
Dans leurs tours moins adroits se heurtent en criant.
La danseuse, enivrée aux transports de la fête,
Sème et foule en passant les bouquets de sa tête,
Au bras qui la soutient se livre, et, pâlissant,
Tourne, les yeux baissés sur un sein frémissant.

Courez, jeunes beautés, formez la double danse :
Entendez-vous l’archet du bal joyeux,
Jeunes beautés ? Bientôt la légère cadence
Toutes va, tout à coup, vous mêler à mes yeux.

Dansez et couronnez de fleurs vos fronts d’albâtre ;
Liez au blanc muguet l’hyacinthe bleuâtre,
Et que vos pas moelleux, délices d’un amant,
Sur le chêne poli glissent légèrement ;
Dansez, car dès demain vos mères exigeantes
A vos jeunes travaux vous diront négligentes ;
L’aiguille détestée aura fui de vos doigts,
Ou, de la mélodie interrompant les lois,
Sur l’instrument mobile, harmonieux ivoire,
Vos mains auront perdu la touche blanche et noire ;
Demain, sous l’humble habit du jour laborieux,
Un livre, sans plaisir, fatiguera vos yeux… ;
Ils chercheront en vain, sur la feuille indocile,
De ses simples discours le sens clair et facile ;
Loin du papier noirci votre esprit égaré,
Partant, seul et léger, vers le Bal adoré,
Laissera de vos yeux l’indécise prunelle
Recommencer vingt fois une page éternelle.
Prolongez, s’il se peut, oh ! prolongez la nuit
Qui d’un pas diligent plus que vos pas s’enfuit !

Le signal est donné, l’archet frémit encore :
Elancez-vous, liez ces pas nouveaux
Que l’Anglais inventa, noeuds chers à Terpsichore,
Qui d’une molle chaîne imitent les anneaux.

Dansez, un soir encore usez de votre vie :
L’étincelante nuit d’un long jour est suivie ;
A l’orchestre brillant le silence fatal
Succède, et les dégoûts aux doux propos du bal.
Ah ! reculez le jour où, surveillantes mères,
Vous saurez du berceau les angoisses amères :
Car, dès que de l’enfant le cri s’est élevé,
Adieu, plaisir, long voile à demi relevé,
Et parure éclatante, et beaux joyaux des fêtes,
Et le soir, en passant, les riantes conquêtes
Sous les ormes, le soir, aux heures de l’amour,
Quand les feux suspendus ont rallumé le jour.
Mais, aux yeux maternels, les veilles inquiètes
Ne manquèrent jamais, ni les peines muettes
Que dédaigne l’époux, que l’enfant méconnaît,
Et dont le souvenir dans les songes renaît.
Ainsi, toute au berceau qui la tient asservie,
La mère avec ses pleurs voit s’écouler sa vie.
Rappelez les plaisirs, ils fuiront votre voix,
Et leurs chaînes de fleurs se rompront sous vos doigts.

Ensemble, à pas légers, traversez la carrière ;
Que votre main touche une heureuse main,
Et que vos pieds savants à leur place première
Reviennent, balancés dans leur double chemin.

Dansez : un jour, hélas ! ô reines éphémères !
De votre jeune empire auront fui les chimères;
Rien n’occupera plus vos coeurs désenchantés,
Que des rêves d’amour, bien vite épouvantés,
Et le regret lointain de ces fraîches années
Qu’un souffle a fait mourir, en moins de temps fanées
Que la rose et l’oeillet, l’honneur de votre front ;
Et, du temps indompté lorsque viendra l’affront,
Quelles seront alors vos tardives alarmes ?
Un teint, déjà flétri, pâlira sous les larmes,
Les larmes, à présent doux trésor des amours,
Les larmes, contre l’âge inutile secours :
Car les ans maladifs, avec un doigt de glace,
Des chagrins dans vos coeurs auront marqué la place,
La morose vieillesse… O légères beautés !
Dansez, multipliez vos pas précipités,
Et dans les blanches mains les mains entrelacées,
Et les regards de feu, les guirlandes froissées,
Et le rire éclatant, cri des joyeux loisirs,
Et que la salle au loin tremble de vos plaisirs.

Alfred de Vigny

 

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